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Le 19 février 2024, la Haute Cour administrative de Croatie a organisé un séminaire sur le thème « Mécanismes permettant de pallier les décisions contradictoires de différentes juridictions nationales, de la CJEU et de la CEDH » à Zagreb, Croatie.
Le séminaire a réuni plus de soixante participants représentant les Conseils d’Etat et les Cours administratives suprêmes des membres de l’ACA-Europe, des observateurs et des invités, le gouvernement croate, le monde universitaire et les juridictions administratives nationales.

L’un des objectifs premiers identifiés durant la présidence finno-suédoise de l’ACA (2023-2025) est la communication verticale entre les juridictions suprêmes d’un pays, ainsi que le dialogue entre, d’une part, les plus hautes juridictions nationales et, d’autre part, les juridictions supranationales européennes, dont les décisions ont un effet significatif sur la pratique judiciaire et influencent la législation de chaque État. Nous nous référons bien entendu principalement à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et à la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH), qui sont les plus importantes juridictions supranationales européennes.

Dès lors, le séminaire a choisi le thème de l’examen des mécanismes visant à supprimer la prise par différentes juridictions nationales de décisions discordantes, ainsi que l’adoption par les juridictions nationales de décisions discordantes par rapport à celles de la CJUE et de la CourEDH. Comme l’ACA-Europe regroupe les plus hautes juridictions publiques compétentes en matière de résolution des litiges administratifs, ce séminaire visait surtout à mieux comprendre les mécanismes déjà en place pour éradiquer les décisions discordantes dans le cadre du contentieux administratif.

Aujourd’hui, la pratique judiciaire constitue incontestablement une source de droit importante. Rien d’étonnant dès lors à ce que le séminaire de Zagreb lui soit consacré. La pratique judiciaire clarifie la manière dont les dispositions juridiques doivent être interprétées et appliquées dans la pratique. Elle souligne les approches appropriées en matière d’interprétation juridique ainsi que les méthodes d’interprétation qui doivent être appliquées parce qu’elles sont pertinentes dans un cas particulier. Fondamentalement, la pratique judiciaire préserve la légalité, un principe juridique fondamental. Elle assure aussi la prévisibilité des décisions juridiques, une des caractéristiques les plus importantes des règles de droit. Avant d’engager toute procédure judiciaire, les parties concernées devraient pouvoir déterminer, en se référant à la pratique judiciaire existante, comment la juridiction interprétera les règles et pratiques juridiques pertinentes pour la résolution de leur cas particulier et, sur la base du traitement juridique antérieur, évaluer comment se présente pour elles un litige potentiel. La pratique judiciaire constitue également un indicateur important des tendances au sein de la société. Elle peut, et doit, signaler au législateur de nouvelles valeurs qui devraient être protégées au moyen de normes, ainsi qu’identifier les domaines du droit réglementaire qui ne sont pas suffisamment standardisés ou qui méritent une approche normative différente. Le suivi et l’étude de la pratique judiciaire nationale constituent dès lors une tâche extrêmement importante. Tout État devrait s’y consacrer systématiquement afin d’assurer l’uniformité de la pratique judiciaire, verticalement et horizontalement au sein du système judiciaire national (mais aussi entre les juridictions nationales, d’une part, et supranationales, de l’autre), en vue de raviver le principe de légalité et d’améliorer la qualité du système juridique dans son ensemble. Chaque pays se concentre sur le suivi et l’étude de la pratique judiciaire des plus hautes juridictions. Leurs décisions revêtent une importance particulière, en raison de l’obligation de formalisme dans le cadre des procédures d’appel et, éventuellement, de recours extraordinaires, mais aussi du fait de l’autorité dont sont investis ceux qui les adoptent. La pratique des juridictions nationales inférieures devrait être harmonisée avec celle des juridictions supérieures afin de contribuer à la réalisation des principes, précédemment mentionnés, de légalité et de prévisibilité des règles de droit. Toute discordance dans la jurisprudence des plus hautes juridictions du pays (horizontalement), ainsi que dans la jurisprudence des plus hautes juridictions par rapport à celle des juridictions supranationales (verticalement) constitue un problème particulier, affectant directement l’État membre. Il est dès lors utile de se pencher sur les mécanismes dont disposent les différents États européens pour éviter (i) que les juridictions nationales, en particulier les plus hautes d’entre elles, ne prennent des décisions discordantes, et (ii) que les plus hautes juridictions nationales ne prononcent des décisions allant à l’encontre de la jurisprudence des juridictions supranationales. Sont spécifiquement analysées dans le rapport, les pratiques judiciaires discordantes au niveau national par rapport à la pratique judiciaire de la CJUE et de la CourEDH, les deux juridictions supranationales les plus importantes en Europe.

Le rapport est divisé en 4 unités thématiques. Dans la première section, il est examiné comment la jurisprudence de la CJUE est suivie et étudiée au sein des plus hautes juridictions administratives. Il examine si des services ou départements spéciaux sont directement chargés de suivre et d’étudier la jurisprudence au sein des plus hautes juridictions, la composition de telles unités organisationnelles, ainsi que l’effet des positions qu’elles adoptent. Une attention particulière est accordée au recours contre une décision judiciaire définitive d’une juridiction nationale qui va à l’encontre de la position de la CJUE, généralement exprimée dans un arrêt ultérieur de cette cour, sur la base d’une demande de réexamen de la question antérieure. Diverses questions de procédure qui se posent dans le cadre de la possibilité de contester une telle décision définitive sont alors abordées. Finalement, il examine le nombre de telles affaires dans chaque État membre, au cours des 10 dernières années, ainsi que les effets du recadrage judiciaire de la CJUE en matière de modifications de la législation nationale.

La deuxième unité thématique du rapport examine toujours la manière dont la pratique judiciaire fait l’objet d’un suivi dans les États membres, mais en mettant cette fois l’accent sur la pratique judiciaire de la CourEDH. Il examine si cette pratique est suivie et étudiée au sein d’unités spécialement organisées au sein des plus hautes juridictions administratives, ou si c’est une tâche qui incombe à chaque juge. Il considère la composition de ces services et départements, les structures au sein desquelles ils sont organisés et les effets des positions qu’ils adoptent. Autre aspect envisagé dans cette unité thématique, la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ou Convention européenne des droits de l’homme (ci-après, « CEDH »), et sa position au sein du système juridique national ; en particulier la question de savoir si ses décisions sont d’application directe ou si elles doivent être transposées. Il tente de déterminer si le contrôle de l’application correcte de la CEDH dans les litiges administratifs est actuellement confié à un organe spécial, ainsi que les conséquences d’une violation des dispositions de cette convention telle qu’appliquée au niveau national. L’attention se porte en premier lieu sur le droit de la juridiction d’appel d’établir, dans le cadre de la procédure d’appel, une violation de la CEDH, et sur son pouvoir de modifier ou d’invalider la décision de la juridiction inférieure. Le rapport s’intéresse aussi aux possibilités procédurales dont disposent les parties lorsque la CourEDH est d’avis que les dispositions de la CEDH ont été violées dans une affaire particulière. Une attention particulière est également accordée à cet égard à la possibilité de contester une décision judiciaire définitive rendue par une juridiction nationale si elle diverge de la position de la CourEDH ultérieurement exprimée dans un arrêt de cette cour, en considérant la situation des tiers dont les droits ont été violés de la même manière. Se pose alors la question du nombre d’affaires dans lesquelles, au cours des 10 dernières années, une demande visant à modifier ou invalider une décision judiciaire définitive allant à l’encontre de la position exprimée par la CourEDH a été introduite. Le rapport examinera aussi (i) les libertés et les droits garantis par la Convention qui sont le plus souvent violés au niveau national, (ii) s’il existe un organisme public spécial chargé de l’exécution des arrêts de la CourEDH au sein de l’État national, et (iii) si la législation d’un État particulier a été modifiée sous l’influence de la décision de la CourEDH. Finalement, il examine quels pays ont ratifié le Protocole nº 16 à la CEDH, qui permet la fourniture par la CourEDH d’avis consultatifs. Il tente d’évaluer l’efficacité actuelle de ces avis dans chaque pays ainsi que d’analyser leurs expériences pratiques concernant l’application de cet instrument.

Dans la troisième unité thématique, le rapport penche sur la relation entre la haute juridiction administrative et la cour constitutionnelle, institution spéciale en charge du respect de la constitutionnalité. Dans ce cadre, il établisse en premier lieu quels pays ont spécialement désigné et organisé une cour constitutionnelle, la manière dont celle-ci fonctionne, ainsi que ses compétences. Il analyse en particulier les pouvoirs des plus hautes juridictions administratives dans les cas où celles-ci estiment qu’une disposition d’une loi ou d’un autre règlement est contraire à ce que prescrit la constitution ou la loi. Dans cette unité thématique, il examine, d’une part, les pouvoirs des individus, parties à un litige administratif dans le cadre duquel une disposition légale ou réglementaire a été appliquée puis invalidée par la cour constitutionnelle pour cause d’inconstitutionnalité ou d’illégalité. Il penche, d’autre part, sur les pouvoirs des tiers dont les droits ont également été violés par la même disposition légale ou réglementaire, subséquemment invalidée par la cour constitutionnelle.
Dans la quatrième et dernière unité thématique, enfin, le rapport analyse la relation entre la haute juridiction administrative et la deuxième plus haute institution judiciaire nationale, la cour suprême. Il détermine premièrement s’il existe un dualisme juridictionnel (c’est-à-dire deux juridictions de grande instance) dans l’État membre. Dans un second temps, il penche sur les compétences de chacune de ces juridictions. Les mécanismes permettant d’éviter qu’elles ne prennent des décisions discordantes sont ensuite exposés. Il examine simultanément si de tels conflits peuvent être évités.

Le rapport général a été compilé sur la base d’un questionnaire rempli comptant 37 questions. Les rapports nationaux de 28 pays européens, remplis et soumis dans le délai imparti, ont été pris en compte. Le rapport contient les idées générales extraites des réponses aux questions de chaque pays ayant participé à l’analyse. Il ne fournit pas de réponses complètes et détaillées à chaque question, mais plutôt un aperçu concis des réponses données et des points de vue exprimés, soulignant les similitudes et les différences entre les différents pays européens en ce qui concerne les questions abordées lors du séminaire de Zagreb. Les pays mentionnés dans certaines parties du rapport, en lien avec certains instruments et solutions juridiques, ne sont énumérés qu’à titre d’exemples, et non sous la forme de statistiques précises.