Paris, 6 décembre 2021

Le 6 décembre 2021, le Conseil d’Etat français et l’ACA-Europe ont organisé le séminaire « Le contentieux des actes des autorités de régulation » à Paris, France.

Les échanges de la journée du 6 décembre 2021 consacrés au contentieux des actes des autorités de régulation ont conduit les participants à aborder successivement les différentes thématiques identifiées par le rapport général. Plusieurs points ont été plus particulièrement mis en lumière.

 

S’agissant des juridictions compétentes pour connaître de ce contentieux (juridictions administratives, civiles, constitutionnelles), les échanges ont souligné la grande variété des solutions retenues par les législations nationales. L’attribution du contentieux des actes de régulation à telle ou telle juridiction procède rarement de l’idée qu’il existe un « juge naturel » compétent pour ces actes. Au contraire, les solutions sont souvent le fruit de l’histoire ou du contexte juridique et politique qui prévalait à l’époque de l’adoption des lois en cause. Les participants ont d’ailleurs souligné que la solution retenue, à une époque, pour une autorité de régulation déterminée, commande souvent la solution retenue, ultérieurement, pour d’autres autorités analogues.

Par ailleurs, les échanges ont mis en lumière la complexité et le caractère souvent non binaire de la répartition des compétences : la juridiction compétente pour connaître du contentieux concernant une même autorité de régulation peut varier, selon les actes concernés (réglementaires ou non), selon qu’il s’agit de sanctions ou non, et selon que sont ou non en cause des droits subjectifs. Cette complexité peut conduire à des conflits de juridiction ou à des difficultés d’aiguillage. En revanche, les participants ont insisté sur le fait que la fragmentation du contentieux était par elle-même sans incidence sur l’intensité du contrôle juridictionnel ou sur la protection effective des droits.

S’agissant de la recevabilité des recours contre les actes des autorités de régulation, les échanges ont fait apparaître le faible particularisme de ce contentieux. Les juridictions compétentes apprécient la recevabilité avec leur grille d’analyse habituelle (intérêt pour agir du requérant ou atteinte à un droit subjectif). Cependant, cela conduit les juridictions nationales à retenir des solutions différentes notamment pour les recours dirigés contre les actes de droit souple pris par ces autorités. Dans les pays exigeant que le requérant fasse état d’une atteinte à l’un de ses droits, un recours direct contre un acte de droit souple présentant la doctrine de l’autorité de régulation sur un sujet donné n’est en principe pas admis : le requérant pourra, ultérieurement, attaquer les décisions individuelles le concernant et, par ce biais, faire valoir ses droits subjectifs. Dans d’autres pays en revanche, la recevabilité des recours est largement admise contre les actes de droit souple (lignes directrices, recommandations, etc.), en amont même des décisions individuelles, afin de désamorcer d’éventuelles atteintes ultérieures aux droits des particuliers.

Certains participants ont également souligné que les autorités de régulation dont un acte est attaqué devant le juge cherchaient parfois à minimiser la « charge décisionnelle » de leurs actes de droit souple, afin d’éviter ou de retarder le moment du contrôle juridictionnel.

S’agissant de l’organisation interne des juridictions et de l’instruction des recours, les échanges ont mis en lumière le besoin tout particulier d’expertise et de spécialisation. Il ne s’agit pas seulement d’un besoin d’expertise et de spécialisation sur un plan technique dans le domaine de compétence propre à chaque autorité de régulation sectorielle (énergie, communications électroniques, données personnelles, etc.) Il s’agit également d’un besoin de spécialisation juridique : les participations ont souligné à quel point le droit de la régulation était devenu complexe et spécifique.

Les échanges ont permis d’évoquer les différents outils, dont les juridictions nationales font des usages très variables, permettant au juge de répondre à ce besoin de spécialisation et d’expertise : présence de membres experts au sein de la chambre ; recours à des expertises extérieures ; importance attachée aux échanges itératifs avec les parties au cours de l’instruction ; rôle tout particulier de « test de qualité » ou d’ « épreuve de vérité » joué par les échanges oraux dans le cadre des audiences préliminaires ou de jugement ; intérêt de la formation initiale et continue des juges, etc. Les juridictions ont donc besoin non seulement de « monter en compétence » techniquement pour comprendre les parties, mais aussi de pousser les parties à être aussi claires et didactiques que possible dans la présentation de leurs propres arguments.

S’agissant de l’étendue du contrôle du juge sur les actes des autorités de régulation, les échanges ont confirmé la présence d’une importante marge d’appréciation des autorités concernées, tout en soulignant la tendance à l’approfondissement du contrôle juridictionnel. Les participants ont souligné l’importance toute particulière d’un contrôle juridictionnel plein et entier de la procédure d’adoption des actes des autorités de régulation (respect des droits de la défense, des obligations de consultation ou de concertation préalable, du principe d’impartialité, etc.)

Il est également apparu au cours des échanges que la technicité de la matière ne devait pas constituer un frein au contrôle du juge : les participants ont insisté sur le fait que le juge disposait de tous les outils pour comprendre les actes attaqués et pour vérifier l’exactitude et la pertinence des faits sur lesquels l’autorité de régulation s’est fondée pour prendre sa décision.

S’agissant de la place occupée par les juridictions dans l’écosystème de la régulation, les échanges ont souligné l’intérêt que représente le contrôle juridictionnel pour les autorités de régulation elles-mêmes : si le juge peut être conduit à annuler ou réformer certaines décisions de régulation, il permet de manière générale de garantir la qualité juridique des actes de régulation soumis à l’examen du juge ; l’existence d’un contrôle juridictionnel approfondi incite également les autorités de régulation à veiller à la bonne motivation de leurs décisions, au respect des règles de procédure et à la solidité factuelle de leurs actes. Les échanges ont également permis de mettre en lumière que le contrôle juridictionnel pouvait venir conforter l’indépendance et l’impartialité de ces autorités.

Réciproquement, les participants ont souligné que le contentieux de la régulation mettait les juridictions au contact d’un domaine de l’action publique particulièrement innovant et exigeant. Il leur appartient tout particulièrement dans ce domaine de faire preuve de souplesse dans leur organisation interne ou dans leurs techniques d’instruction, de veiller à juger dans des délais adaptés et de bien évaluer les impacts sociaux et économiques de leurs jugements.